Depuis le début de l’épidémie du Covid19, une forme de blackout sur l’information statistique a été imposée et il est difficile d’avoir une vision d’ensemble à jour sur l’économie nationale. Malgré cela nous allons essayer d’en élaborer une avec les éléments disparates disponibles.
D’abord les prix. L’indice des prix à la consommation a crû de 2,4% entre 2019 et 2020. Nous reviendrons sur la signification de cette évolution relativement modique dans un contexte de fortes appréhensions sur le financement monétaire du déficit du trésor.
Le directeur général du commerce extérieur a livré le chiffre de 10 milliards de dollars concernant le déficit du commerce extérieur. A fin novembre 2020 il était de 9,86 milliards de dollars (importations CIF et exportations FOB). La ministre des relations avec le parlement a, elle, à la mi-novembre, parlé d’un déficit de la balance des paiements de 12,5 milliards de dollars pour 2020. Le déficit de la balance des paiements entraine mécaniquement une ponction du même montant sur les réserves de change. Aux effets du changement de parité entre euro et dollar près, les réserves de change seraient ainsi passées de 62 milliards de dollars à un peu moins de 50 milliards à la fin 2020. Ce niveau donne une marge de manœuvre de quelques années, avant que l’Algérie ne connaisse des problèmes de paiements extérieurs si rien n’est fait pour la dévier de la trajectoire actuelle.
La loi des finances complémentaire de 2020 prévoyait un déficit budgétaire de près de 2000 milliards de DA pour l’année 2020, contre 1139 milliards de réalisés à fin 2019. Le besoin de financement de l’Etat est en fait plus important que le déficit budgétaire. Il est mieux rendu par le besoin de financement du trésor (solde des opérations du trésor) qui prend en compte des opérations qui ne sont pas inscrites au budget mais qui sont prises en charge par l’Etat. C’est le cas du financement du déficit de la caisse de retraite. Ce dernier est très élevé (plus de 800 milliards de DA), et dès lors qu’on le prend en compte, le besoin de financement atteint des sommets. Soit environ 15% du PIB de 2019. Et sans doute plus en 2020.
L’accumulation de déficits de cette ampleur depuis plusieurs années a conduit à un taux d’endettement public élevé. Sans doute proche de 50% en 2020[1]. En l’absence de réforme budgétaire importante, ce taux va croitre très rapidement, et, à un horizon de trois ou quatre années, atteindre les 100%. Un besoin de financement du trésor de presque 3000 milliards de DA par an est insoutenable à moyen terme car il appelle une croissance rapide du taux d’endettement de l’Etat et par suite du service de sa dette. En cas d’endettement classique de l’Etat, c’est-à-dire auprès des autres agents économiques que la banque centrale, ceci va engager l’économie sur un sentier de croissance ralentie (effet d’éviction du financement en défaveur des entreprises, montée des taux d’intérêt, augmentation des taux de prélèvement fiscaux…). Si à l’inverse cet endettement est monétisé il aura pour conséquence une forte inflation qui aura pratiquement aussi les mêmes effets sur la croissance : il va alléger la charge du service de la dette pour l’Etat mais au détriment des ménages et des entreprises.
Concernant le chômage, nos propres statistiques, que nous avons publiées en novembre 2020, indiquaient un nombre de chômeurs qui était d’environ trois millions à fin juin début juillet, soit un taux de chômage se situant entre 20 et 25%[2]. Une enquête rapide début septembre fait penser que la situation n’avait pas radicalement changé à cette période. Depuis septembre il ne semble pas non plus y avoir eu une reprise spectaculaire pour que la situation s’améliore sensiblement sur le front de l’emploi. En fait il est plus à craindre que le taux de chômage n’augmente encore plus en raison simplement d’une croissance de la population active par un simple effet démographique. Ce croît démographique se situerait entre 300.000 à 350.000 nouveaux arrivants sur le marché du travail.
Concernant l’évolution de la production, s’il est entendu qu’elle a nécessairement été négative en 2020, il reste à mesurer l’ampleur de la baisse et à dire s’il y a quelque espoir de reprise rapide.
Ici aussi nous avons assez peu d’éléments. Un nombre réduit de secteurs pourrait avoir échappé au marasme. L’agriculture d’abord, les IAA ensuite, ainsi que le secteur pharmaceutique. Mais pratiquement l’ensemble des autres secteurs ont subi des baisses combinant à la fois un choc de demande et un choc d’offre.
Une baisse de la production des secteurs orientés vers la demande finale (exportations d’hydrocarbures, consommation des ménages autres qu’alimentaires, BTP, secteur des biens d’équipement), du fait de la baisse de cette dernière induit naturellement une baisse de la demande en biens intermédiaires produits localement ou importés.
Au niveau de l’offre ensuite. A demande donnée, la production subit des goulots d’étranglement à différents niveaux : main d’œuvre, transport, approvisionnement, logistique différents services etc… Ce choc d’offre a du se faire particulièrement ressentir au deuxième trimestre 2020. Il est allé en s’estompant au fur et à mesure que le confinement a été allégé. Le choc de demande, au contraire, est allé en s’aggravant : baisse des revenus des ménages, problèmes de trésorerie des entreprises et attentisme pour investir, stagnation, et ensuite baisse de la demande publique. Les deux phénomènes se sont ainsi conjugués en 2020 pour entrainer une importante baisse du PIB.
Les évolutions sectorielles sont évidemment très contrastées. L’évolution de l’indice de la production industrielle du secteur public au deuxième trimestre 2020 est très significatif de ce point de vue : par rapport au deuxième trimestre 2020, l’indice hors hydrocarbures plonge de 16,2%, celui de l’industrie manufacturière de 26,3%, l’énergie (électricité et distribution de gaz) de 6,8% et enfin les hydrocarbures de 8,5%. Seul l’agro-alimentaire limite la baisse avec 0,3%. Nous n’avons malheureusement pas de données concernant le secteur industriel privé. Mais l’évolution dans le secteur de l’énergie (-6,8%), est déjà illustrative d’une baisse globale des utilisations des secteurs consommateurs d’énergie. Cette baisse se reflète aussi dans les importations de biens intermédiaires qui ont connu une baisse importante. Les produits énergétiques et les lubrifiants et les demi-produits ont ainsi connu des baisses respectives de 26% et 23%. Les produits bruts ont connu une hausse de 15%, mais cela était dû à une hausse exceptionnelle des importations de fèves de soja[3].
Au total, il faut donc s’attendre à une importante chute du PIB, même s’il est difficile de la chiffrer. Le ministère a, lors du débat sur la loi des finances 2021 en novembre avancé une prévision de -4,6% pour 2020. Mais elle pourrait avoir été plus importante.
Dans la présentation de la loi des finances pour 2021, le gouvernement avait fait une prévision de 4% de croissance du PIB pour 2021. Même positif, ce taux ne compense pas la baisse de 2020, en raison de la chute de la demande de l’ensemble des agents économiques par rapport à ce qu’elle était en 2019 (exportations, consommation des ménages et de l’administration et enfin de l’investissement des entreprises).
Toutefois, tout laisse à penser que la reprise sera lente. En premier la stagnation des dépenses budgétaires annoncées pour 2022 et 2023[4]. En deuxième des perspectives de prix pétroliers incertaines à moyen terme, même si à court terme, tout au moins pour 2021, il y a une forte probabilité pour qu’ils se situent autour de 60$/B pour le Brent. Les revenus des ménages en berne et des perspectives d’investissement moroses pour les entreprises par suite de la faiblesse de la demande globale renforcent l’effet de la stagnation des dépenses budgétaires. L’embellie actuelle sur les prix pétrolier permet peut être d’envisager une amélioration du financement du déficit budgétaire prévu, mais les perspectives de prix à moyen terme restent trop incertaines pour le moment pour relever les perspectives de croissance de l’économie algérienne. La banque mondiale prévoit ainsi une croissance pour l’Algérie de 3,8% pour 2021 et 2,1% pour 2022.
Notes:
- ^ A ce sujet voir l’intéressant article de A. Bessaha dans El Watan du 23/11/2020 : « la montée de la dette publique intérieure en Algérie… »
- ^ Voir notre précédent article à ce sujet. Celui-ci s’appuie sur une enquête auprès des ménages réalisée à la fin juin 2020. Une partie de l’échantillon a été réinterrogé début septembre 2020.
- ^ Ces importations passent de 11,2 millions de dollars en 2019 à 293,5 et explique entièrement la hausse des importations de produits bruts qui passent de 1273 millions de dollars à 1569 (296 millions de dollars de hausse). Augmentation beaucoup moindre, les importations de minerai de fer ont augmenté d’un peu moins de 100 millions de dollars du fait de l’entrée en production de deux unités sidérurgique. Mais l’ensemble des autres produits ont connu des baisses de leurs importations.
- ^ a loi des finances 2021 prévoit 8113 milliards de DA de dépenses définitives pour 2021, 8604 pour 2022 et 8680 pour 2023.