La loi des finances complémentaires a fini par être votée. A peu de choses près tel qu’elle a été proposée par le ministère des finances. Lors de cette présentation, le ministre a spécifié le cadrage macroéconomique sur lequel  elle s’appuie.

Tableau 1 : cadrage macroéconomique de la loi des finances complémentaires
  LFC LF initiale
Prix pétroliers loi des finances ($/B) 30 50
Prix pétroliers effectifs (de marché) -$/B) 35 60
Recettes budgétaires (milliards de DA) 5395,5 6289,7
        Fiscalité pétrolière 1394,7 2200,3
        Fiscalité ordinaire et autres recettes 4001,1 4089,4
Dépenses budgétaires 7372,2 7823,1
        Dépenses de fonctionnement 4752,4 4893,4
        Dépenses d’équipement 2620,3 2929,7
Solde budgétaire -1976,9 -1533,4
Solde des opérations du trésor -2954,9 -2435,6
     
Croissance du PIB -2,63 +1,8
Croissance du PIB hors hydrocarbures -0,91 1,78
     
Importations de marchandises  (milliards de $) 33,5 38,2
Importations de services (milliards de $) -2,3  
Exportations de marchandises  (milliards de $) 17,7 35,2
Solde de la Balance des paiements (milliards de $) -18,8 -8,5

Source : ministère des finances, repris par APS

Concernant le budget, le changement fondamental est la révision des recettes de fiscalité pétrolière, qui diminuent de 805,6 milliards. Les recettes hors fiscalité pétrolière ne diminuent que de 88 milliards de DA. Les dépenses, elles, ne sont réduites que de 451 milliards.  Faisant ainsi augmenter le déficit budgétaire de 443,5 milliards de DA.  Les opérations supplémentaires du trésor qui générait un supplément de déficit de plus de 900 milliards de DA (financement du déficit de la CNR, prise en charge de la dette interne de trois groupes publics), sont réduites à 519 milliards de DA.

Les dépenses de fonctionnement ne sont pas complètement bouleversées en subissant  une baisse limitée à 141 milliards de DA, ce qui représente une proportion relativement modeste du montant de la loi des finances initiale (2,9%). Il n’en est pas de même des dépenses d’équipement qui subissent une coupe sensible de 10,6% (plus de 300 milliards de DA). On ne sait pas toutefois quel  type de dépenses cette révision touche. En particulier s’il s’agit de financement d’opération sur biens et services qui ont un impact sur la demande en biens et services, et non simplement sur des opérations en capital qui sont parfois de simples jeux d’écriture.  Nous venons de voir aussi que les opérations non budgétaires du trésor ont baissé de manière importante, passant de 900 à 519 milliards de dinars.

De manière exceptionnelle cette LFC ne fournit pas les annexes habituelles aux lois des finances sur la nouvelle répartition des recettes, ainsi que des dépenses. 

L’impression que donne ce cadrage budgétaire est que la baisse du PIB serait plutôt sous- estimée, notamment le PIB hors hydrocarbures. Supposer en effet que la baisse sera limitée à 1%, c’est penser que la baisse du 2e trimestre aura été  limitée et qu’une reprise immédiate aura lieu au 3e trimestre pour se poursuivre au 4e, comme si les revenus des ménages n’auraient pas été touchés, que des capacités de production n’auraient pas été détruites et que les entreprises auraient sauvegardé leurs capacités financières et auraient la volonté d’investir très rapidement.  Ceci est irréaliste car beaucoup de  secteurs de l’économie  étaient à l’arrêt : commerces autre qu’alimentaire, hôtels restaurant et cafés, transport de voyageurs, certains services fournis aux ménages, notamment ceux fournis par le secteur informel, services aux entreprises. D’autres fonctionnaient au ralenti : BTP, services et travaux publics pétroliers, secteurs en amont du BTP (carrières, matériaux de construction), et beaucoup de branches industrielles (textiles et cuirs, bois et ameublement), sans compter les industries de montage fortement impactées. La baisse à partir de la mi-mars, jusqu’à la mi-juin pourrait avoir avoisiner au bas mot 20 à 25% du PIB trimestriel tenant compte de la place de ces différents secteurs dans l’économie.

L’évolution des comptes extérieurs semble par contre plus correspondre à la réalité. C’est le cas pour les exportations qui enregistrent la forte baisse du prix des hydrocarbures (32% jusqu’à début juin), couplée à une baisse des quantités exportées.  Cette baisse des quantités semble avoir touché les différentes catégories d’hydrocarbures exportés, pétrole brut bien sûr, mais aussi gaz naturel , ainsi que les produits raffinés. Elle est cohérente avec la baisse des exportations de marchandises affichée. Il en est de même des importations de biens et services, tenant compte de la baisse de de la demande dans ses différentes composantes.  Tenant compte des évolutions affichées, le déficit de la balance commerciale FOB-FOB, serait de plus de 14 milliards de dollars.  A ce déficit viendrait s’ajouter le déficit structurel sur les autres opérations courantes, qui devraient se situer, même si les  importations de service sont fortement compressées  à  6 à 7 milliards de dollars. Comme la balance des capitaux est pratiquement équilibrée, on aurait alors un déficit de la balance des paiements qui se situerait alors à 21 milliards de dollars ou plus.  Mais à ce stade, il est évidemment difficile de faire des prévisions précises.

Le cadrage de la loi des finances ne fournit malheureusement pas de prévision d’inflation ou de chômage.  Tenant compte de ce que nous venons de dire à propos de l’évolution de la production il est à craindre que le chômage n’augmente assez fortement. Ceci proviendrait à la fois de la chute de la production et  des nouvelles arrivées sur le marché du travail.  Une baisse de 5% de la production intérieure brute hors hydrocarbures correspondrait à une baisse de l’emploi de plus de 400.000 personnes. Si on y ajoute quelques 300.000 à 350.000 personnes qui arrivent chaque années sur le marché du travail ces dernières années, on voit que le taux de chômage peut monter assez rapidement. Il se situerait autour de 15-16%.  Bien entendu il aura tendance à se résorber au fur et à mesure que la croissance.

Il est plus difficile de se prononcer sur l’évolution des prix qui vont subir des évolutions contradictoires : la probable dépréciation du DA et l’accroissement élevé de la masse monétaire  tendrait à une hausse assez importante, mais la faiblesse de la demande et la sous- utilisation des capacités de production vont en sens inverse.  On ne peut de nouveau que constater l’absence quasi complète de données macroéconomiques pour l’année 2020, mis à part l’indice des prix et les données du commerce extérieur, encore que pour ces dernière, seulement pour janvier et février.